Sa disparition est une véritable onde de choc au pays des hommes intègres. Leader des VDP, Hadji Yoro était surtout un homme fait de principes, de valeurs et porteur d’un amour incommensurable pour son pays. Retour sur un personnage qui restera dans l’histoire du Burkina Faso.
« J’ai pris les armes pour défendre ma patrie, pour que mes parents et moi ne soyons pas soumis. Ce n’est pas une question d’argent, c’est pour l’amour de mon pays » déclarait Hadji Yoro, un des leaders des VDP, avant de tomber face aux terroristes. Il a eu le droit à un hommage national, et pour cause. Il s’est battu sans autre objectifs que de libérer son pays des terroristes.
Né à Dédougou de parents paysans originaires de Toufé dans le Lorum, Soumaïla Ganamé est confié à un maître coranique à l’âge de 5 ans. Il a appris le Coran avec lui dans le village de Kelbo, avant de pour Bobo-Dioulasso. « C’est surtout à Bobo-Dioulasso que j’ai commencé à aimer l’armée. Quand j’étais à l’école coranique, nous avions l’habitude de manger du « garba » au camp. Les soldats nous faisaient faire la vaisselle et nous donnaient à manger en retour. Depuis que je suis enfant, je rêvais d’être soldat« , se souvient-il. Par la suite, il a rejoint sa famille qui a migré à Yoro, au Mali.

En 2002, le jeune Ganamé immigre à la Mecque. Là-bas, il enchaîne les petits boulots et continue d’étudier le Coran. Il passe onze ans de sa vie en Arabie saoudite. De retour à Yoro en 2013, il s’investit dans le jardinage. C’est une activité qui lui réussit bien. « Je fais de la salade, des choux, des aubergines, du piment…. J’ai de très bonnes récoltes« , explique El Hadj Soumaïla Ganamé.
De son jardin, il entend parler des exactions des groupes terroristes dans les villages environnants. Puis ce fut le tour de Yoro. « Ils (les terroristes) sont arrivés chez nous un samedi, par deux sur 37 motos. Ils ont fouetté les vieux, les vieilles, les femmes, les enfants… et les ont rassemblés dans une mosquée pour écouter les prêches« , dit-il, la tête baissée. Et il ajoute : « D’autres personnes ont été gravement blessées, les vieilles femmes pleuraient comme des enfants. C’était une véritable humiliation ».
L’Hadji raconte qu’un jour, il a eu une altercation verbale avec eux. « Les terroristes étaient une soixantaine. Je leur ai dit que notre mosquée était plus ancienne qu’eux tous. Cela signifie que nous sommes musulmans depuis longtemps et que nous prions. S’il s’agit aussi d’une nouvelle religion, on ne force pas quelqu’un à se convertir à une religion« , a-t-il déclaré. En réponse, « ils m’ont dit qu’ils avaient besoin d’hommes courageux comme moi et voulaient me donner un numéro et de l’argent, ce que j’ai refusé devant tout le monde« .
Puis les exactions vont se multiplier. Des leaders d’opinion enlevés et exécutés. Des femmes, à la recherche de bois de chauffe, massacrées. Il dénombre près de 130 assassinats. Les populations sont contraintes de fuir Yoro.

Avec une quarantaine de jeunes, El hadj Soumaïla Ganamé troque ses arrosoirs contre des armes pour défendre son peuple et ses biens et répond à l’appel du gouvernement burkinabè qui venait de créer les VDP (Volontaires de Défense de la Patrie) . « J’ai pris les armes pour défendre ma patrie, pour que mes parents et moi ne soyons pas soumis. Ce n’est pas une question d’argent, c’est pour l’amour de mon pays« , explique-t-il. Il décide donc de rentrer au Burkina Faso.
Il s’installe à Sollé, un village déjà martyrisé par les terroristes. Aux côtés des Kolgwéogo, un groupe d’autodéfense, « Yoro » et ses « soldats » galvanisent leurs « frères d’armes« . « Son arrivée a fait une grande différence. Quand nous l’avons vu sur le champ de bataille, nous avons commencé à avoir confiance en nous. Des jeunes qui hésitaient ont rejoint nos rangs« , raconte un frère d’arme. Ses qualités de rassembleur et de mobilisateur sont louées de tous.
C’est l’une des raisons pour lesquelles il a été nommé à la tête des Kolgwéogo du Loroum, puis du VDP. Dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, on le voit tenir une arme de guerre au milieu d’une foule, invitant les gens à rejoindre la lutte contre le terrorisme. Il les exhorte à ne pas s’attaquer à la communauté peuhl, car, selon lui, « ce n’est pas une guerre contre un groupe ethnique« . Par ailleurs, « Yoro » leur promet la fin des excursions des groupes armés.
Sous sa direction et avec l’aide des Forces de défense et de sécurité (FDS), ils ont mis en déroute des terroristes, les obligeant à appeler à une rencontre et au dialogue. El Hadj Soumaïla Ganamé confirme la rencontre, même s’il n’y a pas participé. Selon lui, elle a eu lieu sur le sol malien à la demande des terroristes. Ils ont demandé au VDP de déposer les armes ou de rejoindre leur cause et de ne plus collaborer avec l’armée. « Ils ont exigé que nous laissions pousser nos barbes et que nous coupions nos pantalons. Nous avons refusé cette offre. Nous ne reconnaissons que l’autorité de l’État burkinabé, pas celle des terroristes« , affirme-t-il, avec aplomb.
L’un de ses hommes de confiance, souligne le courage et la bravoure de l’homme. « Il n’a peur de rien« , affirme ce jeune trentenaire qui l’a vu combattre. Il le décrit comme un fin stratège et tacticien, rompu à « l’art de la guerre. Nous l’avons « surpris » en train de jouer à des jeux de stratégie de guerre sur son téléphone portable. « C’est très différent de la réalité du terrain sahélien, mais j’apprends beaucoup« , explique Ladji.
À chaque sortie, Yoro dirige lui-même les patrouilles, en tant que « commandant en chef« . Il donne des instructions sur la tenue des positions et les précautions à prendre. Sur plusieurs images prises sur le théâtre des opérations, on le voit avec une arme de guerre en bandoulière, des munitions autour du cou, un chapeau de cow-boy vissé sur la tête, une barbe de quelques semaines, plusieurs bagues aux doigts des deux mains et des amulettes autour des bras.
De nombreux VDP prétendent qu’il a des pouvoirs surnaturels, le rendant « invincible » aux balles et « invisible » au combat. Yoro lui-même raconte une scène de fusillade, digne d’un film hollywoodien, suite à une embuscade en juin-juillet 2020, dans les environs de Sollé. La dernière embuscade dans la localité a fait six victimes, dont cinq VDP et un soldat.
L’Hadji raconte qu’il a reçu deux roquettes ce jour-là, après de violents combats. « La première est tombée sous mes pieds et la seconde a touché ma hanche. Elles m’ont projeté au loin. J’avais de petites blessures. Les soldats ont eu peur et m’ont évacué à Ouagadougou pour me faire soigner. Pour moi, ce n’était que des égratignures« , a déclaré El Hadj Soumaïla Ganamé. Ses informations sont confirmées par des officiers supérieurs du détachement militaire, basé à Sollé. « Si Ladji n’avait pas été là ce jour-là, cela aurait été un véritable carnage. Nos hommes n’avaient plus de munitions« , ajoutent-ils.

Pour Yoro, la fin du terrorisme dans le Nord est une question de mois. Il exhorte le gouvernement à fournir à l’armée un matériel de guerre conséquent et à équiper les VDP et surtout à leur fournir, ainsi qu’à leurs familles, une aide alimentaire.
El Hadj Soumaïla Ganamé est un « élément indispensable » dans la lutte contre le terrorisme dans le Nord, selon un journaliste local qui a requis l’anonymat. « Il est très informé et très influent. Il a su fédérer les groupes d’autodéfense de la province du Loroum en une seule entité. Son autorité est reconnue et incontestée. Quand il est arrivé, il n’a pas cherché à être le leader ».
Yoro est assez mobile, pour « des raisons de sécurité« , selon ses termes. Il a son téléphone collé en permanence à l’oreille. « Je suis un petit président (rires…). Les gens me font confiance, ils viennent se confier à moi. Dès qu’il se passe quelque chose dans le quartier, je suis informé. Parfois, je vais résoudre le problème, souvent j’envoie quelqu’un« , explique-t-il.
Les demandes ne se limitent pas aux questions de sécurité. Il participe à la résolution des tensions communautaires et familiales « Les gens pensent que je suis riche. Ils viennent me demander de la nourriture, de l’argent pour la scolarité de leurs enfants, pour aller chez le médecin. Je fais ce que je peux« , confie-t-il.
Yoro est « adulé » par tout le monde. Des personnes du troisième âge, des femmes, des jeunes, des enfants, qui le reconnaissent, l’interpellent en passant, juste pour le saluer.
Ce jeudi 23 décembre 2021, L’Hadji Yoro et son « bataillon » se rendent dans la ville voisine de Ouahigouya pour convoyer des commerçants afin de ravitailler Titao.
Après une vingtaine de kilomètres, ils tombent sous le feu nourri des terroristes. Blessé gravement, Yoro succombera dans la nuit. Une victoire certaine pour les terroristes qui avaient mis sa tête à prix. Une nouvelle qui a horrifiée Titao ainsi que tout le Burkina Faso. Le nouveau gouvernement de Lassina Zerbo organisera un hommage national et imposera deux jours de deuil national.
