Quel rôle l’Afrique doit-elle jouer dans la résolution du conflit ukrainien ? Le président en exercice de l’Union africaine (UA), Macky Sall, est déterminé à être la voix du continent face à cette guerre.
Le 9 mars, le chef d’État sénégalais s’est entretenu « de sa propre initiative » avec son homologue russe Vladimir Poutine « pour appeler à un cessez-le-feu durable en Ukraine« . Cet appel téléphonique est intervenu alors que le conflit entrait dans son vingtième jour.
« En appelant Poutine, Macky Sall veut se positionner comme un arbitre crédible entre la Russie et l’Ukraine« , a déclaré une source diplomatique.
Pour le chef cérémonial de l’UA, il y a bien sûr un enjeu symbolique et diplomatique à vouloir peser sur un conflit qui, bien que se jouant à des milliers de kilomètres de Dakar et d’Addis Abeba, reste au centre de l’attention mondiale et polarise la communauté internationale. Il y a aussi une nécessité économique et sociale.
L’Afrique sait qu’elle n’échappera pas aux conséquences économiques de cette guerre.
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Dès les premières heures du conflit, le prix du baril de pétrole a fortement augmenté, atteignant un pic de 129 dollars le 8 mars. S’il oscille aujourd’hui autour de 100 dollars, le prix reste à un niveau jamais atteint depuis septembre 2014.
Compter les coûts
Ces fluctuations auront un impact sur la facture énergétique des pays non producteurs et entraîneront une hausse des coûts de transport et donc des biens de consommation. La hausse des prix du blé, dont la Russie et l’Ukraine sont les principaux producteurs mondiaux, est également une préoccupation majeure.
En Afrique du Nord, mais aussi dans plusieurs pays subsahariens, les prix des denrées alimentaires de base ont déjà flambé.
« Dans ce contexte, il faut absolument faire entendre la voix de l’Afrique« , estime un diplomate béninois, pour qui « tout rôle d’apaisement que pourra jouer l’UA dans ce conflit ne sera pas inutile. » D’autant que personne ne sait combien de temps la guerre va durer.
De nouveaux rounds de négociations sur le cessez-le-feu ont débuté le 14 mars par vidéoconférence, alors que le conflit s’étendait vers l’ouest. La veille, une base militaire près de la frontière polonaise utilisée par les troupes de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord jusqu’en février a été visée par des frappes russes.
Un vote d’abstention, avec le Mali, la Guinée et le Burkina Faso
Le président Sall est sur la corde raide de la diplomatie. Le président sénégalais doit tenir compte des divisions du continent, illustrées par le vote des Nations unies (ONU) le 2 mars. Ce jour-là, la résolution non contraignante de l’ONU exigeait « le retrait immédiat et inconditionnel » des troupes russes du territoire ukrainien.
Le texte a été approuvé à une écrasante majorité par 141 pays. Cinq États – dont l’Érythrée – ont voté contre, et 33 se sont abstenus.
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Parmi les abstentionnistes, 17 Etats africains, dont le Sénégal, soucieux de ménager leur allié russe sans se mettre à dos l’Europe et les Etats-Unis. La position de Dakar peut paraître surprenante compte tenu de ses relations privilégiées avec Washington et Paris.
Elle va également à l’encontre du communiqué signé par Sall au nom de l’UA, qui appelle « la Fédération de Russie et tout autre acteur régional ou international à respecter impérativement le droit international, l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale de l’Ukraine« .
Un ancien diplomate sénégalais déclare : « Nous n’avons pas compris ce vote [d’abstention] du Sénégal. Dans la région de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, il s’est mis au même niveau que le Mali, la Guinée ou le Burkina Faso, qui sont dirigés par des juntes militaires et qui se sont également abstenus. »
Prudence et sagesse
Lors d’un conseil des ministres tenu juste après le vote, Sall a invoqué « le principe de non-alignement et de règlement pacifique des différends » pour justifier le vote de son pays à l’ONU.
Une semaine plus tard, la ministre des affaires étrangères Aïssata Tall Sall a expliqué à Radio France Internationale que le mandat de Sall à la tête de l’UA « ne lui permet pas de prendre une position trop forte« . Elle a ajouté : « Cette position sénégalaise est réfléchie. Elle n’est pas une carte blanche pour qui que ce soit« .
Lors de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, Dakar n’a pas condamné Moscou. « Le rôle naturel de notre pays dans le monde est d’œuvrer pour la paix et le rapprochement des sociétés. C’est pourquoi nous nous abstenons« , ajoute la source diplomatique citée plus haut.
« C’est une posture prudente mais aussi sage. Si vous voulez jouer le médiateur entre deux parties en conflit, vous ne pouvez pas condamner l’une plutôt que l’autre. Pour être crédible, vous devez être neutre« .
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Or, cette neutralité a disparu lorsqu’il s’est agi de condamner la Russie au Conseil des droits de l’homme de l’ONU le 4 mars. Le pays a-t-il cédé à la pression de ses partenaires occidentaux ?
Non, répond le ministre des Affaires étrangères Tall : « Le Sénégal l’a fait en toute liberté, en toute indépendance, parce qu’il a alors considéré que cet exode massif des Ukrainiens et des autres ressortissants vivant en Ukraine était devenu quelque chose d’intolérable. C’est ce que nous appelons notre diplomatie souveraine, sans exclusion mais [aussi] sans exclusivité. »
Que pensez-vous des prises de positions de Macky Sall et de l’Union Africaine ? Dites le nous dans les commentaires.