En cette année de Coupe du monde, les hommes qui dirigeaient le football sont jugés.
Bellinzona est une belle ville du sud de la Suisse, non loin de la frontière italienne. Elle est célèbre pour ses trois châteaux, ce qui est approprié car elle a également été le lieu de ce que les médias locaux ont appelé le procès sportif du siècle : le Ministère public de la Suisse contre Sepp Blatter et Michel Platini.
Trois châteaux : un pour les coaccusés, un pour la FIFA, l’instance dirigeante du football mondial, et un pour la Suisse elle-même.
Car tous trois ont été sur le banc des accusés, d’une manière ou d’une autre.
Ce n’est peut-être pas le châtiment que certains fans de football pensent que Blatter et Platini méritent, mais c’est le plus grave auquel ils sont confrontés. Et si Blatter et Platini veulent restaurer leur réputation, même partiellement, ils ont besoin que cela se passe comme prévu. C’est important.
Les autorités suisses ont inculpé les deux hommes de fraude, de mauvaise gestion, de détournement de fonds de la FIFA et de falsification de documents en novembre 2021, six ans et demi après avoir commencé à enquêter sur eux dans le cadre de l’enquête internationale tentaculaire qui a débuté par cette fameuse descente à l’aube à l’hôtel Baur au Lac.
Le 27 mai 2015, le lieu luxueux situé sur les rives du lac de Zurich était bondé de centaines d’administrateurs de football, car le lendemain se tenait le congrès annuel de la FIFA, au cours duquel M. Blatter devait briguer un cinquième mandat de président.
Il remportera le vote, mais les célébrations ont été quelque peu gâchées par le fait que sept membres de son comité exécutif avaient été embarqués dans des véhicules aux fenêtres obscurcies par des hommes armés, tandis que le personnel de l’hôtel tentait de les cacher des photographes en brandissant des draps de lit.
Une semaine plus tard, Blatter a annoncé son intention de se retirer – à moins, bien sûr, que les membres de la FIFA ne le persuadent de rester par un vote de confiance retentissant. Cette chance ne lui a jamais été donnée.
Quatre mois plus tard, les autorités suisses ont annoncé qu’elles enquêtaient sur Blatter et Platini pour un paiement suspect de deux millions de francs suisses (2M€) que la FIFA a fait au Français en janvier 2011, peu de temps avant que Blatter soit élu pour un quatrième mandat, sans opposition.
À ce moment-là, Platini avait parcouru un long chemin depuis la fin de sa carrière de Nancy à de Saint-Étienneen passant par la Juventus et léquipe de France; il dirigeait désormais le football européen en tant que président de l’UEFA et était devenu l’un des faiseurs de roi du football. Il était aussi largement pressenti pour être le successeur de Blatter.
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Mais en octobre 2015, plus de quatre ans et demi après que ce paiement unique ait atterri sur le compte de Platini, les deux hommes ont été suspendus par la FIFA dans l’attente d’une enquête du comité d’éthique de l’organisation.
Deux mois plus tard, la FIFA leur a infligé une suspension de huit ans des instances du football, qui a été réduite à six ans en appel en février 2016. Le même mois, Gianni Infantino, alors secrétaire général de l’UEFA, a obtenu le poste le plus élevé à la FIFA – et non son patron, Platini. (Nous y reviendrons plus tard).
Cette affaire s’articule autour de ce paiement. S’agit-il, comme Blatter et Platini le prétendent depuis sept ans, d’un règlement tardif d’une dette que le premier devait au second pour un travail de consultant fourni pendant le premier mandat de Blatter à la tête de la FIFA, de 1999 à 2002 ?
Ou s’agissait-il, comme le suggèrent les autorités suisses et la FIFA, d’un paiement illégal destiné à s’assurer que Platini obtiendrait les voix dont Blatter avait besoin pour repousser la candidature du chef de la Confédération asiatique de football, Mohamed bin Hammam, au poste suprême du football ?
Et comment les autorités ont-elles su qu’il fallait chercher ce paiement de deux millions de francs suisses ?
Blatter s’est un jour décrit comme le capitaine du navire de la FIFA, lui et l’organisation qu’il a dirigée pendant 18 ans sont toujours dans le même bateau. Son successeur, Infantino, a passé les six dernières années à répéter qu’il était le capitaine d’une « nouvelle FIFA« , un navire très différent de l' »ancienne FIFA » de Blatter.
Si cela doit devenir plus qu’un slogan, le verdict est significatif.
Et la FIFA est loin d’être la seule à avoir connu des décennies difficiles pour les fédérations sportives basées en Suisse. Des scandales financiers et de dopage ont éclaboussé les instances dirigeantes de la boxe, du cyclisme, de plusieurs sports d’hiver et du Comité international olympique lui-même.
Toutes ces instances sportives ne sont-elles pas basées en Suisse pour une raison précise ?
Le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone est installé dans un bâtiment qui ressemble à la Maison Blanche : ordonné, symétrique, néoclassique.
Nous sommes le mardi 21 juin, le dixième des onze jours prévus pour le procès, mais toutes les personnes présentes ont été informées que si tout se passe bien et que personne ne s’oppose à un déjeuner tardif, le procès pourrait se terminer aujourd’hui.
Blatter, Platini et leurs équipes juridiques arrivent peu après l’ouverture des portes à 8h30 et prennent place dans la salle d’audience principale. Blatter, âgé de 86 ans, est assis au premier rang, à côté de son avocat Lorenz Erni, un homme érudit qui a déjà défendu le réalisateur Roman Polanski. La fille de Blatter, Corinne, est assise deux rangs derrière.
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M. Blatter a salué toutes les personnes présentes dans la salle, y compris l’accusation. Il est voûté et se déplace lentement ces jours-ci, mais porte un costume bleu à la mode et a toujours une étincelle dans les yeux.
En passant, l’un des moments les plus drôles du procès est survenu lorsqu’on a demandé à une ancienne employée de la FIFA quand elle avait eu des nouvelles de Blatter pour la dernière fois. Elle a répondu qu’il lui avait envoyé un message pour la Saint-Valentin en février. Elle ne l’avait pas vu depuis des années.
Platini, assis avec trois avocats dans la rangée de bureaux juste derrière Blatter, a l’air moins heureux d’être ici – c’est son 67e anniversaire, après tout – mais il salue son ancien mentor et Corinne, et fait un signe de tête à la poignée de journalistes qui ont couvert chaque toux et chaque crachat de l’affaire. Il ne reconnaît cependant pas l’opposition.
À 9 heures pile – nous sommes en Suisse – la présidente du tribunal, Joséphine Contu Albrizio, entre en scène, flanquée de deux autres juges. Il y a 29 personnes dans la salle : 13 avocats, trois juges, deux greffiers et 11 amis, journalistes et observateurs.
Aujourd’hui, il s’agit de plaidoiries et de déclarations finales.
Le procureur suisse Thomas Hildbrand commence et parle pendant une heure. On pourrait croire qu’il s’agit d’un exposé sur la flore et la faune de la vallée du Tessin, tant son discours est calme. Mais il s’agit en fait d’une mise à mort de Blatter et Platini.
Une semaine auparavant, lorsqu’il a exposé son cas pour la première fois, Hildbrand a dit aux juges que l’accusation demandait des peines de 20 mois avec sursis. Cela signifie qu’ils sortiront par la porte d’entrée du tribunal, quoi qu’il arrive à l’annonce du verdict, mais ils pourraient le faire avec des condamnations pénales et la menace d’une incarcération pesant sur eux.
La suivante est Catherine Hohl-Chirazi. Cette avocate basée à Genève représente la FIFA, qui s’est jointe à l’affaire pénale en tant que partie civile. Pour faire simple, la FIFA veut récupérer son argent. Elle parle pendant 75 minutes mais présente un diaporama sur le grand écran à l’avant du tribunal.
Les trois diapositives principales sont le contrat écrit que Blatter et Platini ont signé en 1999 (salaire annuel de 300 000 francs suisses et aucune mention d’accords parallèles), le mot amical que Blatter a écrit à son « cher ami » en 2002 lorsque Platini a été élu aux comités exécutifs de l’UEFA et de la FIFA et ne pouvait donc plus être son conseiller personnel, et enfin la facture que Platini a envoyée à la FIFA neuf ans plus tard pour ses arriérés de salaire.
Hildbrand et Hohl-Chirazi se sont exprimées en allemand, les personnes ne maîtrisant pas le jargon juridique allemand écoutant une traduction française via des écouteurs. Platini, qui ne parle pas allemand, n’a pas écouté un mot de l’affaire qui lui est reprochée.
Il a cependant mis ses écouteurs pour entendre l’avocat de Blatter, Erni, prendre une demi-heure pour qualifier d' »absurdes » l’accusation et les affaires de la FIFA, puis son propre avocat, Dominic Nellen, poser huit questions aux juges, qui, selon lui, disculpent toutes son client.
Puis ce fut au tour des accusés de prendre la parole. Contrairement aux quatre orateurs précédents, M. Blatter fait sa déclaration depuis sa chaise, et non depuis le pupitre situé au milieu de la salle d’audience, mais plus il parle, plus il s’anime.
S’exprimant dans l’allemand de son canton natal, le Valais, qui borde à l’ouest le Tessin italophone, M. Blatter déclare aux juges qu’il est choqué d’en être arrivé là, accusé d’être un menteur, un fraudeur, un faussaire. Il leur rappelle qu’il a donné sa vie au football et qu’il a été l’ambassadeur de la Suisse, rencontrant monarques, papes et présidents. Il mentionne que l’un de ses nombreux titres honorifiques est celui de commandant de l’armée suisse.
Blatter termine en leur disant qu’il est convaincu que la justice prévaudra et que « ma conscience est claire« . Son choc semble sincère, mais il a aussi l’air de quelqu’un qui se croit au-dessus des lois.
Platini, quant à lui, semble simplement agacé. S’exprimant en français, il déclare : « Je ne me suis pas engagé dans les institutions du football français, européen et mondial pour me retrouver devant le tribunal pénal fédéral. » Surtout le jour de son anniversaire.
Il rappelle qu’il n’a jamais reçu de carton rouge durant sa carrière de joueur, ce dont lui et son père étaient fiers, et affirme que ce n’est pas agréable d’être accusé de ces choses quand on est grand-père. Comme Blatter, il termine en disant qu’il est convaincu que le tribunal « rétablira la vérité et lavera tout ce qui a été terni pendant ces sept longues années« .
Sa déclaration dure moins de cinq minutes, dont la moitié est occupée par le traducteur qui la relaie, ligne par ligne, en allemand. Une fois qu’il a regagné son siège, Contu Albrizio remercie tout le monde pour les quatre heures et demie que nous avons passées dans cette salle d’audience lumineuse et aérée, dit qu’elle rendra le verdict du jury le vendredi 8 juillet à 10 heures et s’en va.
Blatter, sa fille et Erni sortent les premiers et, malgré les efforts de Corinne pour le ramener chez lui pronto, il ne peut pas passer un micro sans s’arrêter.
Platini reste en retrait, laissant l’homme plus âgé avoir son moment, et donne ensuite une évaluation optimiste de ce qui s’est passé, avant de s’interrompre pour prendre des selfies avec deux fans de la Juve qui passaient par là.
Le procès sportif du siècle est terminé. Si vous vous intéressez à la façon dont le sport préféré du monde est géré, vous devez comprendre comment ces deux hommes en sont arrivés là, pourquoi ils font face à ces accusations particulières et ce qui se passera s’ils sont condamnés ou innocentés.
M. Blatter a commencé à travailler pour la FIFA en 1975, à l’âge de 39 ans. Il avait auparavant été chef des relations publiques du Valais, responsable du marketing de l’horloger Longines et secrétaire général de la Fédération suisse de hockey sur glace. Il est devenu secrétaire général de la FIFA en 1981, poste qu’il a occupé pendant 17 ans.
Son patron pendant toute cette période était Joao Havelange, un nageur olympique brésilien devenu avocat, puis l’homme le plus puissant du football mondial.
Havelange est décédé en 2016, à l’âge de 100 ans, quatre ans après que les autorités suisses aient révélé que lui et son gendre, Ricardo Teixeira, l’ancien président de la Fédération brésilienne de football, avaient touché plus de 24 M€ de pots-de-vin liés à l’attribution des droits de commercialisation de la Coupe du monde.
Mais en 1998, Blatter, l’initié, a repoussé un défi lancé par le président de l’UEFA, Lennart Johansson, pour succéder à Havelange. Le manifeste de Blatter, si c’est le mot juste, était « plus, plus, plus« . Plus de places en Coupe du monde pour les pays en développement, plus de Coupes du monde en dehors des foyers européens et sud-américains du football, et plus d’argent pour le « développement » des plus de 200 associations membres de la FIFA.
Et il a tenu toutes ces promesses, qui ont permis d’augmenter le nombre de matchs et de gagner des voix.
Il a également réussi à scandaliser fréquemment les gens par des remarques sexistes sur les footballeuses ou en passant sous silence des scandales. Il était un autopromoteur sans vergogne, avec des visées sur le prix Nobel de la paix.
Mais malgré tout cela, la plupart des observateurs proches de la FIFA pendant son mandat estiment qu’il souhaitait avant tout être président de la FIFA, et non s’enrichir. On avait également le sentiment que son cœur était au bon endroit, à peu près là, et qu’il avait eu raison d’emmener la Coupe du monde au Japon, en Corée du Sud, en Afrique du Sud et, finalement, en Russie, même si cette décision ne semble pas si bonne aujourd’hui.
Nous n’avons pas besoin de gaspiller trop de mots pour expliquer à quel point Platini était un footballeur extraordinaire. Il était le meilleur dribbleur, finisseur et passeur de toutes les équipes pour lesquelles il a joué. Il a joué pour la France et la Juventus, qui ont toutes deux remporté des championnats européens. D’accord, il ne taclait pas beaucoup mais on ne l’appelait pas « Le Roi » pour rien.
Un an après avoir pris sa retraite en tant que joueur, il est devenu sélectionneur de la France lorsque son prédécesseur, Henri Michel, a été licencié pour ne pas avoir réussi à faire participer l’équipe à la Coupe du monde 1990. Sous la houlette de son ancien capitaine, la France remporte ses huit matches de qualification pour l’Euro 1992, dans le cadre d’une série de 19 matches sans défaite. Les Français, qui partent favoris, s’inclinent au premier tour.
Il s’oriente alors vers l’administration du football. Son premier poste a été de codiriger les préparatifs de la France pour l’organisation de la Coupe du monde de 1998. Il a également siégé au comité de développement technique de l’UEFA, où il est devenu évident qu’il avait des ambitions dépassant celles de la plupart des anciens footballeurs.
Ce qui nous amène à son partenariat avec Blatter.
Au tribunal ce mois-ci, il a été dit que Blatter ne pouvait pas se permettre de payer Platini le « million » qu’il voulait – « pesetas, liras, roubles, marks, vous décidez« , c’est ainsi que Platini a décrit leurs négociations – parce que la FIFA n’était pas l’entreprise de plusieurs milliards de dollars qu’elle est maintenant.
Blatter a suggéré qu’il paye Platini le même montant que le secrétaire général de la FIFA a obtenu, 300.000 francs suisses par an et ils font un « gentleman’s agreement » verbal pour arrondir cela à un million de francs suisses par an à une date ultérieure.
Blatter a également déclaré à la cour que Platini en valait la peine. Et il était probablement à Blatter, un nouveau président qui essaie de sortir de l’ombre de Havelange.
Mais Platini voulait alors sortir de l’ombre de Blatter. Leur relation de consultant a pris fin en 2002, lorsque Platini a été élu à l’ExCo de l’UEFA et a obtenu l’une des places européennes au sein de l’organe décisionnel suprême de la FIFA. Cinq ans plus tard, c’est au tour de Platini de battre Johansson lors d’une élection serrée, devenant ainsi le premier ancien pro à devenir patron de l’UEFA.
À cette époque, les relations entre les deux hommes s’étaient légèrement refroidies – la rivalité entre la FIFA et l’UEFA est l’une des plus féroces du football – mais Platini était occupé à promouvoir sa propre vision du football européen, de sorte qu’il n’y a pas eu de grandes prises de bec publiques.
Les querelles de Platini concernaient les clubs les plus riches et les plus grandes ligues d’Europe, car il était favorable à un jeu plus égalitaire, où des clubs comme Nancy et Saint-Étienne pouvaient concourir pour les trophées européens et où les clubs anglais devaient utiliser des joueurs anglais.
Mais en 2011, Blatter a de nouveau besoin de Platini. Encouragé par la candidature du Qatar à l’organisation de la Coupe du monde 2022, Bin Hammam, ancien responsable de la fédération qatarie, décide de s’attaquer à Blatter. Sans la capacité du président en exercice à distribuer des subventions au développement et des postes bien rémunérés dans les commissions, le Qatari a distribué des pots-de-vin.
Et il a failli y arriver. M. Blatter a toutefois réussi à convaincre M. Platini et M. Jack Warner, de Trinité-et-Tobago, de livrer les votes en bloc de l’UEFA et de la CONCACAF, la confédération qui représente le football en Amérique du Nord et centrale.
Il pourrait s’agir d’une coïncidence totale, mais les autorités suisses enquêtent également sur un paiement inexpliqué de Blatter à Warner, qui a été banni du football à vie en 2015 mais nie toute faute et lutte actuellement contre son extradition vers les États-Unis où il est accusé de fraude électronique, de racket et de blanchiment d’argent, à peu près au même moment que le paiement de Platini.
En fait, Bin Hammam a lu la pièce et s’est retiré avant le vote, laissant Blatter sans opposition, et six mois plus tard, le Qatari était banni du football à vie.
Cependant, peu de temps avant ce couronnement de 2011, Blatter et Platini ont eu une réunion. Selon l’accusation et les avocats de la FIFA, cette réunion avait pour but de décider de la valeur du soutien de Platini. Le secrétaire général de la FIFA de l’époque, Jérôme Valcke, un autre ancien patron du football disgracié, affirme que Platini voulait initialement quatre millions de francs suisses.
Un plan a ensuite été élaboré pour que le Français soumette une facture à la FIFA, affirmant que les deux millions de francs suisses représentaient le solde de ce qui lui était dû entre 1999 et 2002.
Platini a déclaré au tribunal qu’il avait en fait oublié qu’il n’était payé que 300 000 francs suisses par an et qu’en lui demandant de leur envoyer une facture de seulement deux millions de francs suisses en 2011, ils l’escroquaient.
Il explique avoir attendu neuf ans pour recouvrer cette dette par le fait qu’il n’avait pas besoin de cet argent et qu’il faisait confiance au président de la FIFA pour honorer sa parole. Il a déclaré qu’il n’a rappelé à Blatter de faire ce qui était juste que lorsqu’il a découvert combien deux dirigeants sortants avaient été payés en 2010, dont l’un était l’ancien diplomate français Jérôme Champagne, un homme que Platini déteste.
Toute suggestion que Platini faisait autre chose que de collecter une reconnaissance de dette, qui avait été librement convenue par deux citoyens honnêtes, a été rejetée par Nellen, son avocat, comme une fantaisie et « l’escroquerie la plus stupide du monde« . Après tout, a affirmé Nellen, beaucoup de gens savaient qu’ils avaient un accord parallèle, il a facturé la FIFA pour le montant dû et a payé 800 000 francs suisses d’impôts sur ce montant.
Lorsque ce fut leur tour de répondre à ces revendications, Hildbrand et Hohl-Chirazi ont fait remarquer que personne à la FIFA n’était au courant d’un quelconque accord oral, qu’il était absurde de suggérer que la FIFA ne pouvait pas se permettre de le payer après 2002, que la somme de deux millions de francs suisses était 800 000 francs suisses de moins que ce que Platini prétendait lui être dû et que le moment était si opportun.
Ce dernier point n’a pas vraiment été martelé, ce qui a permis à Erni et Nellen d’affirmer que l’accusation n’avait pas réussi à trouver un motif pour le paiement. Hildbrand et Hohl-Chirazi, cependant, ont simplement répliqué qu’ils n’avaient pas besoin de motif. Ils ont dit qu’il s’agissait d’un paiement illégal, non étayé par un quelconque document, et que cela suffisait à prouver leur thèse.
Mais la question de la documentation, et la façon dont les autorités suisses ont trouvé cette facture parmi les liasses de documents qu’elles ont saisies en 2015, est l’un des éléments les plus intéressants de l’affaire. Les discussions à ce sujet ont dominé la partie médiane du procès.
L’accusation affirme l’avoir trouvée dans une liasse de documents détaillant tous les paiements effectués aux membres de l’ExCo depuis des années, mais celle-ci a-t-elle été signalée par des personnes non spécifiées ?
Les témoignages dans la salle d’audience ne sont pas concluants. Un témoin a semblé suggérer qu’il a été trouvé dans une armoire dans le bureau de Blatter, tandis qu’un autre a semblé suggérer que l’enquêteur initial a donné un léger coup de main.
Pour Platini, il n’y a aucun doute. Toute sa défense est basée sur la prémisse qu’Infantino, son ancien adjoint, a volé la présidence de la FIFA.
Faisant référence à une série de réunions – sans aucun procès-verbal – qu’Infantino a eues avec l’ancien procureur général suisse Michael Lauber entre 2015 et 2017, Platini et son avocat ont dressé le portrait d’une grande conspiration visant à lui voler le poste suprême du football.
La commission d’éthique de la FIFA a blanchi Infantino de tout acte répréhensible lié à ces réunions, mais Lauber a été contraint de démissionner et une enquête fédérale suisse distincte continue de les examiner. Infantino et Lauber nient tous deux avoir commis des actes répréhensibles.
Hildbrand et Hohl-Chirazi ont dédaigné les affirmations de Platini, les rejetant comme une tentative désespérée de brouiller les pistes.
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Mais si ni Blatter ni son avocat n’ont choisi de poursuivre cette ligne d’attaque au tribunal, Corinne Blatter est inflexible quant à l’identité du principal instigateur des troubles de son père.
« Nous ne pensons pas que c’est la FIFA« , dit-elle. « Nous pensons que c’est un homme : l’actuel président de la FIFA. Nous n’en avons pas parlé au tribunal mais nous sommes d’accord avec Platini. Et n’oubliez pas qu’il a perdu plus que mon père. Il a perdu la présidence ».
« La question que nous nous posons sans cesse est ‘qui a fourni le tuyau ?’. Qui a dit à (l’ancien procureur Olivier) Thormann exactement où chercher une facture de deux millions ? Je ne sais pas pourquoi Infantino essaie de détruire mon père. Nous avons essayé de le contacter. Il a grandi à seulement sept kilomètres de Viège (où Blatter est né et a toujours une maison). Un jour, je lui demanderai pourquoi il a fait cela« .
En attendant, elle devra se contenter de la réponse que l’avocat de la FIFA, Hohl-Chirazi, nous a donnée lorsque nous avons évoqué la théorie de Platini.
« Ce ne sont que des inventions de la défense pour éviter de discuter des faits« , dit-elle. « La FIFA a intenté une action civile à la fois contre Blatter et Platini pour que l’argent qui a été illégalement détourné soit remboursé afin qu’il puisse être utilisé dans le but pour lequel il était initialement destiné : le football.«
La FIFA a l’intention, si Blatter et Platini sont condamnés, de poursuivre l’un d’entre eux ou les deux pour les 1,5 M€ d’intérêts que ce paiement aurait accumulés au cours des 11 dernières années.
Et, comme l’a entendu le tribunal, Blatter possède encore des actifs de 14,5 M€, et la richesse personnelle de Platini est proche de 12.7M€.
Alors que Platini devait se contenter d’un salaire d’environ 290 000 € il y a 20 ans, il a tout de même réussi à facturer à la FIFA près de quatre fois ce montant chaque année en incluant les primes et les dépenses.
L’interdiction de Blatter du football a été prolongée de six ans en 2021 lorsqu’il est apparu qu’il avait plutôt aimé s’enrichir aux dépens du football. Il s’est octroyé un bonus secret de 9M€ après la Coupe du monde 2010, puis, un an plus tard, un complément de 10M€ lié à la Coupe du monde 2014.
La FIFA gagne maintenant beaucoup d’argent et, l’année dernière, elle s’est vu promettre une part des 185 M€ saisis auprès des dizaines de fonctionnaires malhonnêtes auxquels le ministère américain de la justice s’est déjà attaqué. Ce qui nous amène aux deuxième et troisième défendeurs de Bellinzona : la FIFA elle-même et la Suisse.
Rien de tout cela ne serait arrivé sans que les agences américaines de répression criminelle ne réalisent à quel point le football était corrompu de leur côté de l’Atlantique, à quel point la FIFA de Blatter semblait tolérer la fraude généralisée, et à quel point la police et les politiciens européens ne semblaient pas s’en soucier.
Bien sûr, certains politiciens se plaignaient lorsqu’ils perdaient une candidature à la Coupe du monde, mais ces protestations s’estompaient à mesure que le football évoluait. Il y a toujours d’autres Coupes du monde et personne n’aime les raisins secs.
Mais la candidature remportée par le Qatar en 2010 « appartenait » aux États-Unis. Ironiquement, M. Blatter voulait que les États-Unis gagnent, car il pensait que la désignation de la Russie et des États-Unis comme hôtes des deux prochaines Coupes du monde pourrait cimenter ce Nobel.
Mais cela ne s’est pas passé ainsi, bien sûr, et l’intérêt soudain de l’Amérique pour les décisions liées à la FIFA a finalement conduit à la chute de Blatter.
La FIFA dont Infantino a pris la tête début 2016 était encore dans les limbes juridiques des États-Unis, qui utilisaient des lois créées pour s’attaquer à la mafia pour arrêter des dizaines de chefs du football d’Amérique du Nord, centrale et du Sud, saisir leurs biens et obtenir des inculpations rapides.
La question était alors de savoir si la FIFA était une organisation mafieuse ou la victime d’une organisation mafieuse. Infantino a gagné cet argument et, en termes de politique sportive, il n’a jamais regardé en arrière.
La Suisse ? Elle a mis du temps à se décider au sujet de l’ambassadeur Blatter et de l’establishment qu’il dirigeait.
Mais elle y est arrivée et c’est pourquoi un homme de 86 ans, qui a déjà perdu le poste qu’il aimait, et un homme de 67 ans qui avait ce poste à portée de main pour le voir passer à son lieutenant, seront de retour à Bellinzone le 8 juillet pour entendre s’ils sont de vrais criminels ou non.
Cela changera-t-il l’opinion de quiconque sur eux, sur la FIFA ou sur la réticence de la Suisse à se montrer indiscrète pendant si longtemps ?
Probablement pas. Mais c’est le principe de la question, non ?
